Il faut être né en Alsace ou en Allemagne pour connaître l'existence du Christkindel, une figure énigmatique des Noëls alsacien et allemand. Discret, le personnage ne se montre que très rarement dans les marchés de Noël en Alsace... mais avec un peu de patience, vous le rencontrerez sûrement !
Qui est le Christkindel ?
Bon, déjà il faut évoquer une étrangeté sur le genre nominal. On dit LE Christkindel, donc c'est masculin. Sa traduction de l'allemand est "Enfant Christ". Sauf que... dans l'imagerie populaire germanique, le personnage prend les traits d'une jeune fille portant une couronne ornée de quatre bougies. Allez savoir pourquoi !
Des origines obscures...
En fait, on a voulu savoir pourquoi. Et on est remonté très loin dans le temps. Chez les Celtes d'abord, une figure féminine incarnait la fertilité. Au milieu de l'hiver, elle annonçait le prochain cycle de la nature.
Puis, chez les Scandinaves, on retrouve une autre femme en la personne de Sainte-Lucie. Toujours célébrée aujourd'hui dans ces pays du nord de l'Europe, elle ressemble à s'y méprendre à une sœur jumelle du Christkindel avec ses 4 bougies sur la tête. Il faut dire que la célébration de Saint-Lucie, fixée au 23 décembre, et son rapport à la lumière ont pu largement inspirer le personnage du Christkindel.
Saint-Nicolas purement et simplement congédié !
Mais pour y voir plus clair sur l'origine de la mystérieuse jeune fille, arrêtons-nous au temps de la Réforme, au 16e siècle. Cette rupture avec le catholicisme eut pour conséquence de faire évoluer les traditions locales. Jusqu'à la Réforme, Saint-Nicolas était vénéré le 6 décembre dans une grande partie de l'Europe germanique. C'est pourquoi au Moyen Âge, la remise des cadeaux n'avait pas lieu la veille de Noël ou le jour de Noël, mais le 6 décembre (jour de la Saint-Nicolas) ou le 28 décembre (jour des Innocents).
Or, les protestants n’étaient pas du tout favorables au culte des saints. Et Saint-Nicolas en paya le prix. Ainsi, les marchés de la Saint-Nicolas furent purement et simplement annulés. L'évêque emblématique n'eut plus le droit de citer dans les villes et villages acquis à la foi protestante comme à Strasbourg. Exit le Nico donc, mais par qui le remplacer ?
Martin Luther a fondamentalement rejeté le culte des saints. Pour lui, Jésus-Christ, Fils de Dieu est le seul médiateur entre Dieu et les êtres humains, et la légende de Saint Nicolas serait une "chose puérile", voire un mensonge, comme il le déclare lors d’un sermon pour la fête de Saint Nicolas en 1527 :
"Le Saint Nicolas ne doit pas être assimilé au véritable Saint, Jésus-Christ. Le terme sacré est réservé uniquement au Messie et à aucun évêque de Myre. C'est ce que soutient la foi évangélique en Dieu !"
La naissance du Christkindel à la Réforme
Il leur fallait un personnage rappelant le don gratuit de Dieu fait aux hommes. Un emblème de la naissance de l'Enfant Jésus la nuit de Noël.
Et la légende nous dit que Martin Luther trouva lui-même l'idée de personnifier Noël par une effigie du petit Jésus.
S'était-il inspiré de Sainte-Lucie ou d'une autre image populaire ? Les traits d'une jeune fille auraient-ils été ajoutés au cours des siècles suivants ?
Nul ne le sait vraiment. Tant et si bien que, au beau milieu du 16e siècle, on créa de toute pièce un énième donateur de cadeaux : le Christkindel.
La propagation d'une nouvelle tradition au 16e siècle
Le folkloriste et historien allemand Reinhold Köhler (1830-1892) était d'avis que l'on pouvait déterminer dans quelle mesure la propagation croissante de la Réforme avait évincé Saint Nicolas au profit du Christkind en se basant sur les interdictions émises par les administrations des villes protestantes.
Par exemple, en 1570, sur les conseils du pasteur de la cathédrale de Strasbourg, le magistrat aurait décidé d'interdire les défilés de Saint Nicolas afin d'enseigner aux enfants que ce n'était pas le saint, mais le Christkind, qui apportait les cadeaux.
Puis, le pasteur allemand Martin Behm (1557-1622) prêcha en 1608 : "Il est regrettable que certains parents placent quelque chose sur le lit de leurs enfants en disant que c'est un cadeau du Saint Nicolas. C'est une mauvaise habitude, car cela détourne l'attention des enfants du Saint, alors que nous savons que ce n'est pas Saint Nicolas, mais le Saint Enfant Jésus qui apporte toutes les bonnes choses pour le corps et l'âme. Nous devrions le reconnaître et l'invoquer seul à cet effet."
Au début de la Réforme au 16e siècle, la naissance du Christ était célébrée exclusivement au sein de l'église. Célébrer cette fête à la maison était rare et plutôt réservé aux personnes aisées dans les régions protestantes d'Allemagne.
Christkindel : d'où vient ton nom ?
Son nom dérive d'une abréviation de "Christus als Kind". Ceci donna en allemand "Christ-Kindel" (le Christ enfant). Dans d'autres territoires allemands, on retrouve des orthographes voisines : Christkind (Allemagne), Christkindla (Sundgau en Alsace), Chrischtchindli (Suisse alémanique) ou Christkindl (en Autriche notamment). Le Christkindel n'est donc pas né à Noël mais à la Réforme !
Ainsi, le Christkindel a fait sa première apparition au cours de la vie du réformateur Martin Luther, dans la première moitié du 16e siècle. L'idée était de recentrer la célébration de la naissance du Christ et de la refléter à travers de nouvelles coutumes. Ainsi, dans les régions allemandes à majorité protestante, la tradition veut désormais que les cadeaux soient offerts le 25 décembre, jour de Noël.
Cette invention due à la Réforme protestante ne fut pas la seule à se développer pendant le temps de Noël. Le sapin de Noël décoré fut encouragé par les Réformateurs pour remplacer la crèche de Noël. Quant au grand marché de la Saint-Nicolas à Strasbourg, considéré comme une "survivance du papisme", il fut remplacé en 1570 par un marché de Noël proprement dit. Dédié au Christkindel, le Christkindelsmärik signifie en français : le marché de l'Enfant Christ.
Quand l'Histoire vient à surprendre
A partir du 16e siècle, le Christkindel prit la place de Saint-Nicolas dans les cortèges organisés dans les villes et villages d'Alsace. De jeunes ados des deux sexes, vêtus de blanc, faisaient la tournée des maisons. Ils y distribuaient des friandises et entonnaient des noëls. Des rencontres de jeunes gens et de jeunes filles donnèrent lieu à quelques débordements. Ces problèmes de mœurs furent combattus par les autorités protestantes à plusieurs reprises aux 17e et 18e siècles.
Relativisons cependant sur la place centrale que tenait le Christkindel. Car Saint-Nicolas n'avait pas complètement disparu du paysage et restait encore ancré dans le cœur des Alsaciens.
Tout est inversé !
Mais le cours de l'histoire révèle parfois quelques tournures surprenantes. Car si la Réforme protestante inventa le Christkindel, c'est dans les pays allemands à majorité catholique que sa tradition s'est maintenue aujourd'hui. Les contrées protestantes allemandes ont depuis cédé au charme du Père Noël américain (Santa Claus), dont l'ancêtre n'est autre que... Saint-Nicolas le catholique !
Et pour enfoncer le clou, la tradition du Christkindel a tellement évolué au fil des siècles qu'on a aujourd'hui oublié sa signification donnée par la Réforme. Et c'est à peine si les enfants alsaciens connaissent son existence !
La popularité du Weihnachtsmann (le Père Noël allemand) s'est répandue dans les pays allemands à partir du 19e siècle, remplaçant progressivement le Christkind en tant que dispensateur de cadeaux dans les régions protestantes, notamment dans le nord et l'est de l'Allemagne. Cependant, dans les coutumes catholiques, le Christkind continuait à jouer ce rôle.
Ainsi, ce personnage est encore bien présent aujourd'hui dans les régions à prédominance catholique telles que la Bavière, le Bade-Wurtemberg, la Rhénanie et l'Autriche.
A noter toutefois que le Christkind apporte toujours les cadeaux de Noël dans les foyers traditionnellement protestants de Franconie, du Bade-Wurtemberg, du Palatinat et de la Hesse.
À quoi ressemble le Christkindel ?
Dans la tradition allemande, le Christkindel (ou Christkind) présente plusieurs caractéristiques :
- Il prend les traits d'une jeune fille, tel un ange ou l'image christianisée d'une fée.
- La fille est vêtue tout en blanc et porte une voile (blanc lui aussi !)
- Sa tête est ceinte d'une couronne de sapin dorée. Elle est ornée de quatre bougies allumées. Cette caractéristique en fait une sœur jumelle de Sainte-Lucie !
- Il tient parfois dans la main un bâton avec une étoile.
- Il est assisté d'un âne, appelé Peckeresel. Dans ses deux sacoches en cuir sont rangés des friandises (mandarines et bredalas) pour les enfants sages et des fouets pour les méchants garnements.
- Il est souvent accompagné par Hans Trapp, un redoutable personnage qui fait office de Père Fouettard en Alsace. Celui-ci a la tâche (ingrate) de faire peur aux vilains enfants.
À l'origine, le Christkindel était visuellement conçu pour ressembler au nouveau-né Jésus. Cependant, au fil du temps, ce personnage a pris une identité distincte dans la tradition. L'idée d'une figure angélique a émergé, perdant ainsi la ressemblance initiale avec Jésus.
Cette évolution pourrait être attribuée au fait que dans le passé, lors des représentations de crèches et des défilés de Noël, l'enfant Jésus était souvent accompagné d'un groupe d'anges, inspiré par l'ange de l'Annonciation. Ceux-ci étaient joués par de jeunes filles vêtues de robes blanches. Ainsi, la couleur blanche a été choisie en référence à la pureté et à l'innocence du personnage.
Enfin, les chercheurs sur Noël sont désormais unanimes pour dire que le Christkind n'est ni une fille ni un garçon. Le Christkind est donc sans sexe, ou plus précisément, sexuellement neutre. Mais dans les faits, ceci n'est pas tout à fait exact : à Nuremberg comme en Basse-Alsace, les apparitions du Christkind se font toujours sous les traits de jeunes filles (et jamais de garçons) !
Où est célébré le Christkindel ?
Sans surprise, le Christkindel est célébré dans les pays allemands. Alsace, Allemagne du Sud, Autriche, Croatie, Hongrie, Slovénie, Suisse alémanique, Tchéquie, Tirol du Sud (Italie), ainsi que dans certaines parties du Brésil (où ont émigré des populations allemandes).
Le Christkind de Nuremberg
À Nuremberg, la tradition du Christkind demeure la plus populaire au monde, même dans les années 2020. Ici, le Père Noël et Saint Nicolas n’ont aucune chance, que ce soit dans les foyers, les écoles ou les bureaux.
La présence du Christkind à Nuremberg pendant la période de Noël est omniprésente. On le voit partout : dans les vitrines des magasins, sur les affiches et prospectus touristiques, dans les décorations de Noël, à la télévision et à la radio locales, et même sur les timbres postaux ! Le Christkind est également physiquement représenté par des acteurs amateurs lors de festivités pour enfants.
Il n’est donc pas étonnant que le marché de Noël ancestral de Nuremberg, imprégné d'une longue tradition, porte le nom de Christkindlesmarkt. Sur ce marché, on croise régulièrement des jeunes femmes qui incarnent physiquement le Christkind.
Chaque année, l'ancienne ville impériale recherche une jeune femme d'au moins 16 ans qui aura la noble tâche de représenter dignement le Christkind tout au long de la merveilleuse période de l'Avent et de Noël. Entre selfies, discours, interviews et événements, cette représentante éphémère du Christkind aura beaucoup à faire !
Les marchés de Noël en l'honneur de Christkind
L’influence du Christkind se retrouve dans le noms des marchés de Noël allemands :
- Strasbourg (Christkindelsmärik),
- Augsburg (Augsburger Christkindlmarkt),
- Munich (Christkindlmarkt am Marienplatz),
- Karlsruhe (Karlsruher Christkindelsmarkt),
- Görlitz dans la Saxe (Schlesische Christkindelmarket),
- Vienne en Autriche (Wiener Christkindlmarkt),
- Linz (Linzer Christkindlmärkte),
- Salzbourg (Salzburger Christkindlmarkt),
- Zurich en Suisse (Christkindlimarkt im Hauptbahnhof) et
- Bolzano en Italie (Bozner Christkindlmarkt).
- sans oublier le Christkindlmarkt de... Chicago aux Etats-Unis !
En Alsace, le Christkindel est remis à l'honneur depuis les années 1990 et occupe une place de plus en plus importante dans l'imagerie populaire, conjointement avec le développement des marchés de Noël. Il n'est plus incongru de trouver le Christkindel, Saint-Nicolas et Hans Trapp côte à côte.
Pour apercevoir le Christkindel alsacien, il faut surtout visiter la Basse-Alsace à Noël, et notamment le petit bourg de Wissembourg, à la frontière avec le Palatinat.
Le Christkindel est-il en voie de disparition ?
Saperlipopette, le Christkindel serait-il en voie de disparition ? On peut raisonnablement se poser la question, car en matière de distribution de cadeaux, la concurrence est féroce !
Bien sûr, il y a Saint Nicolas et surtout le Père Noël, dont la physionomie de gros bonhomme vêtu de rouge nous vient d'Amérique.
En Allemagne, d'autres personnages (en chocolat) font leur apparition et rencontrent une certaine popularité : l'Ours d'Hiver de Lindt et le Bonhomme de Neige de Milka. Tout comme le Santa Claus de Coca-Cola, nous voici ici face à des marques.
Les études le prouvent !
Force est de constater que c’est en Autriche et dans le sud de l'Allemagne que la tradition du Christkind est restée tenace face au Père Noël. C’est ce que révèlent les résultats d’une enquête menée par l’agence de presse autrichienne APA (Austria Press Agency) en 2017. Pour mener à bien l’enquête, l’APA s’est basée sur les données des utilisateurs des réseaux sociaux tels que Facebook et Twitter.
Le Christkind ne serait pas très vendeur ?
Le folkloriste et anthropologue allemand, Gunther Hirschfelder, constate que le Christkind se prête moins bien à la commercialisation médiatique que le Père Noël. Selon lui, le Christkind n'est pas bien représenté médiatiquement en ce qui concerne l'achat et le don de cadeaux de Noël.
Dans le langage de l'industrie médiatique et publicitaire, le Christkind est un personnage jeune (entre 14 et 16 ans), légèrement vêtu et d'apparence variant entre androgyne et féminin. Pas très vendeur à notre époque où la sexualisation constante des images et du contenu est décriée.
Un Noël blanc et... froid !
De plus, Noël est devenu une fête à l'image de plus en plus hivernale, en écho à la chanson américaine "I’m Dreaming of a White Christmas". Gunther Hirschfelder ajoute : "Cependant, vous ne pouvez pas rendre le Christkind hivernal, car il est toujours légèrement vêtu et dérive de la forme des anges. Un ange avec un manteau d'hiver, ça ne marche pas."
Heureusement pour le Christkind, il existe des bastions qui résistent encore et toujours aux envahisseurs. Ne serait-ce qu'à Nuremberg ou à Wissembourg où la tradition du Christkind et Christkindel n'est pas prête de changer !
En savoir plus
Voici quelques liens vers le blog et d'autres sites internet sur le Christkind en Alsace et en Allemagne :
- Les principaux personnages de Noël [sur le blog]
- Saint Nicolas et ses légendes [sur le blog]
- Hans Trapp, la terreur des enfants alsaciens [sur le blog]
- L'origine du Père Noël [sur le blog]
- Les cadeaux de Noël : origines et traditions [sur le blog]
- Le marché de Noël de Nuremberg : histoire et découverte [sur le blog]
- Wissembourg : marché de Noël, Hans Trapp et Christkindel [sur le blog]
- Le Christkind de Martin Luther a remplacé Saint-Nicolas [en allemand]
- Les personnages de Noël en suisse alémanique [en allemand]
- La belle tradition de Noël pour les enfants [en allemand]
Vous avez rencontré le Christkindel en Alsace, en Allemagne ou en Autriche ? Faites-nous en part en laissant un petit commentaire !