Lors de mon dernier passage à Nancy, j’avais donné rendez-vous à un ami devant la magnifique porterie du Palais ducal. Fort heureusement, celui-ci avait du retard. Et mon regard s’est attardé sur cette œuvre d’art qui m’est pourtant très familière. Jamais je ne m’étais arrêté si longtemps pour l’examiner sous toutes les coutures ! Appareil photo en main, j’ai pris des dizaines de clichés de ces petits détails dont de nombreux passants ne soupçonnent même pas l’existence. Oh, je ne peux pas les juger car moi aussi, je n’en avais aucune idée jusqu’à ce jour. Un grand merci à mon ami d’avoir été en retard… Allez, je vous amène à Nancy, la ville aux portes d’or !
Ma dernière visite à Nancy
A chaque fois que j’ai besoin de précision sur le passé historique de Nancy et ses monuments, j’ouvre le livre que ma grand-mère (une Nancéienne) m’avait offert quand j’avais 10-11 ans : Le Vieux Nancy par Pierre Marot (avec la collaboration de l’abbé Jacques Choux).
C’est un livre de référence pour beaucoup de Nancéiens qui sont de fervents amateurs de l’histoire de leur ville. Ma grand-mère en avait payé le prix pour me l’offrir : 240 francs (soit 65 euros avec l’inflation), ce qui, dans les années 80, était une jolie petite somme pour un livre !
Malheureusement, ce livre n’est plus édité (d’après mes sources mais j’espère me tromper)…
Bref, ce que je vais vous révéler, c’est en grande partie grâce à la lecture de ce livre qui m’est très cher (au sens figuré comme au sens propre ! 😅)
Le duc Antoine de Lorraine et la Renaissance
Je ne vais pas digresser sur l’histoire du Palais ducal de Nancy, sa splendeur d’autrefois et les riches collections du musée lorrain… Et garder en ligne de mire ce fameux portail qui constitue l’entrée d’honneur sur la Grand’Rue.
La porterie, comme la plupart des autres bâtiments du palais, fut élevée sous le règne d’Antoine (né et mort à Bar-le-Duc, 4 juin 1489 – 14 juin 1544), duc de Lorraine et de Bar de 1508 à 1544.
Pour comprendre le style de la porterie et sa présence à Nancy, il faut se pencher sur la vie d’Antoine.
Antoine à la Cour du Roi de France
Fils du duc René II de Lorraine et de Philippe de Gueldre, Antoine passe son enfance au palais ducal de Nancy. Puis ses parents l’envoient avec ses frères parfaire son éducation à la Cour du roi de France, Louis XII.
Il passe ainsi la plupart de son temps au château de Blois. C’est là qu’il se lie d’amitié avec le duc d’Angoulême, futur François Ier.
Antoine, duc de Lorraine
A la mort de son père en 1508, Antoine devient duc de Lorraine à 19 ans. En 1509, il confia le duché à sa mère et à l’évêque de Toul pour partir accompagner le roi de France Louis XII dans les guerres d’Italie.
Ainsi, le jeune duc Antoine prit part à la bataille d’Agnadel le 14 mai 1509.
Après la mort de Louis XII, Antoine assiste au sacre de son ami, François Ier. Et retourne guerroyer en Italie avec lui. Il participe à la célèbre bataille de Marignan, les 14 et 15 septembre 1515.
La Cour du roi de France, les châteaux de la Loire, l’Italie… le duc Antoine a été introduit à la Renaissance de la plus belle manière. Ainsi, il n’est pas étonnant de constater que le palais ducal de Nancy est l’un des premiers témoins de la Renaissance dans l’Est de la France.
A quoi ressemble la porterie du Palais ducal ?
La porterie Renaissance est la partie la plus ornée du Palais ducal.
En plein cintre, elle est légèrement en saillie sur la façade.
Les deux portes de la porterie
La porterie du Palais ducal comprend deux portes : une porte cochère et une porte plus petite pour les visiteurs à pied, dite porte basse (ou porte Masco).
La porte cochère (l’entrée des carrosses et cavaliers) est flanquée de pilastres qui supportent une niche au cintre surbaissé. On voit ici deux angelots qui soufflent dans de longues trompes. Au dessus d’eux, les insignes de la guerre (une cuirasse antique, un bouclier rond et deux épées, un tambour avec une trompette et deux fifres, un arc et un carquois rempli de flèches…)
Une sirène à deux queues malheureusement à moitié effacée par le temps :
Les pilastres s’achèvent par des chapiteaux décorés de motifs végétaux et animaliers. Aux angles, on reconnaît des chimères ailées.
La niche est ornée de redents tréflés, et abrite la statue équestre du duc Antoine.
Les gables superposés
Deux gables superposés surmontent la niche. Flanqués de pinacles, ils se prolongent presque jusqu’au niveau du faîte du toit.
Le premier gable, de style gothique flamboyant, est décoré de feuilles de choux. Il encadre les armoiries du duc Antoine.
Un aigle couronné se tient debout sur le heaume. Il porte la Croix de Lorraine autour du cou.
Le second gable, plus petit et de forme rectangulaire, est d’inspiration Renaissance. Il encadre deux bustes de guerriers menaçants. Ce gable est lui-même surmonté d’une coquille.
La porte Masco
A gauche de la porte cochère se trouve une porte basse pour les piétons. Elle porte le surnom de porte Masco, du nom d’un ours du duc Léopold qui la gardait (lisez la légende ici !).
Les armoiries ducales
Le tympan de la dite porte contient les armoiries ducales, que tiennent deux génies. Contrairement à l’écu armorié, détruit à la Révolution, les puttis ont survécu à cette période troublée.
Remarquez le petit aigle aux ailes déployées qui se tient debout sur le heaume. Il porte la Croix de Lorraine autour du cou.
Le singe cordelier
La porte Masco est surmonté d’un gable orné de feuillage qui se termine par une curieuse sculpture : le singe cordelier.
Le petit singe est assis et tient un livre. Il porte l’habit des moines de l’ordre franciscain.
La légende raconte qu’un moine cordelier aurait critiqué le travail du sculpteur du duc de Lorraine. Celui-ci se serait vengé en le représentant sous des traits peu flatteurs ! C’est d’ailleurs ce qui valut à la statue d’être épargnée à la Révolution. Malheureusement, le singe cordelier est amputé de son bras droit.
Une porterie digne d’un château de la Loire
Comme nous l’avons appris, le duc Antoine a passé une partie de son enfance à la Cour du roi de France, à Blois.
Si vous avez déjà visité le château de Blois, vous aurez remarqué la belle porterie à l’entrée du monument.
Elle représente Louis XII à cheval. La sculpture originale fut détruite à la Révolution. Le sculpteur Emile Seurre y plaça une copie en juillet 1858.
De Blois à Nancy
La structure de ce portail de Blois a inspiré celle du Palais ducal de Nancy.
En effet, le duc Antoine a souhaité orner son palais de Nancy dans le style en vogue à l’époque, c’est-à-dire la Renaissance.
Le duc de Lorraine chargea l’architecte Jacques Vauthier pour l’exécution du magnifique portail (1511-1512).
Mais force est de constater que la porterie nancéienne est beaucoup plus chargée que la blésoise. L’architecte a mélangé les styles gothique et Renaissance dans une œuvre résolument originale et nouvelle.
Les éléments de la Renaissance
Une multitude de motifs rafinés de style Renaissance décorent les pilastres, l’archivolte de la porte principale et les parements de la niche :
- trophées d’armes
- rinceaux
- médaillons
- feuillages stylisés
- coquilles
- poissons fantastiques
- génies et angelots
- candélabres antiques, etc.
On y aperçoit de nombreux êtres fantastiques, dont de nombreuses chimères :
Des chimères et des coquillages :
Un homme qui combat une chimère et un être grimaçant avec des oreilles de lapins. Est-ce une référence au roi Midas ? En effet, la mythologie grecque raconte que, lors d’un concours de musique, Midas préféra la flute de Marsyas à la lyre d’Apollon. Pour se venger et punir Midas, le dieu l’affubla de longues oreilles d’âne.
Des tritons et un dieu ?
Des chimères adossées. Sur le registre supérieur, un bélier et un bœuf :
Des chimères qui s’entrelacent :
Des êtres fantastiques curieux :
Les éléments gothiques
On reconnait le style gothique flamboyant sur les pinacles et les gables.
Ici, deux petits êtres de pierre s’agrippent au sommet du gable. A gauche, un génie sonnant du cor et à droite un être fantastique, sorte de lion ailé.
Les pinacles et leurs statuettes
Au sommet des quatre pinacles inférieurs se trouvent de petites statues (vous les apercevrez à hauteur de la corniche).
De gauche à droite :
- un bœuf qui prêche dans une chaire
- un porc qui tient un étendard (l’original était un aigle, ce serait dû à une erreur d’interprétation lors de la reconstitution de la statuette)
- un lion accroupi à la gueule ouverte
- un enfant nu.
Ce programme sculptural n’est pas sans rappeler les symboles des quatre évangélistes (le bœuf, l’aigle, le lion et l’homme).
Les pinacles supérieurs s’achèvent, eux aussi, par des statuettes.
- un enfant accroupi.
- un ours s’appuyant sur un bâton.
- un bélier prêchant depuis une chaire.
- un lion accroupi à la gueule ouverte.
On ne connaît pas l’identité de l’auteur de ces sculptures décoratives.
La statue équestre de la porterie du Palais ducal
En revanche, on connait celui de la statue équestre du duc Antoine. Il s’agit du sculpteur officiel des ducs de Lorraine, Mansuy Gauvain.
C’était la première fois qu’on réalisait la statue équestre d’un duc de Lorraine. En effet, la première représentation du duc René II à cheval sur la place Saint-Epvre date de 1633.
Il semble que la statue célèbre la Bataille d’Agnadel remportée par le jeune duc en 1509, aux côtés de Louis XII et du fameux chevalier Bayard.
Malheureusement, comme au château de Blois, la statue fut détruite à la Révolution.
Une copie de 1851
En 1851, on plaça une nouvelle statue de Giorné Viard dans la niche vide. Cette reconstitution ne fut pas identique à l’originale car on n’en avait pas conservé d’image précise.
Le jeune duc (environ 20 ans) est figuré brandissant son épée, à la manière de Saint-Georges terrassant le dragon. De plus, l’architecte représenta le cheval dans une position cabrée, contrairement à Blois où il est au pas.
Une statue pleine de symboles
Le duc Antoine porte les trois alérions lorrains sur son vêtement. Sur la jupe de chevalier, on aperçoit des croix de Lorraine et les deux poissons du duché de Bar.
La housse qui recouvre le cheval porte les croix de Lorraine et de Jérusalem, ainsi que les deux poissons du duché de Bar.
Vous remarquerez que la couleur de la statue n’est pas la même que celle de la porterie. En effet, le sculpteur a choisi de l’exécuter en pierre de jaumont, d’où sa belle couleur jaune-ocre. La pierre de jaumont est caractéristique de Metz où elle a été employée pour la construction de nombreux monuments.
A Nancy, les architectes ont utilisé la pierre d’Euville (carrières près de Commercy). Une exception toutefois : la gare ferroviaire.
Tout en bas à droite de la statue, la signature de Giorné Viard, suivie de la date 1851 :
Enfin, observez la touffe herbeuse sous l’équidé. Il s’agit du chardon lorrain, symbole de la ville de Nancy qui rappelle la résistance héroïque aux Bourguignons lors de la Bataille de Nancy en 1477. Le chardon évoque la fameuse devise nancéienne : « Qui s’y frotte, s’y pique ! » Ce qui revient à dire : « On ne me touche pas impunément ! »
Les balcons
Deux balcons encadrent la porterie du Palais ducal. Ils sont soutenus par un curieux groupe de deux personnages chacun.
Les deux personnages du balcon à droite de la porterie :
Les mêmes personnages, vus de face, sont inquiétants !
Les personnages soutenant le balcon de gauche. On reconnaît un triton :
A découvrir aux alentours du Palais ducal
Le Palais ducal est situé en Ville-Vieille de Nancy, le long de la Grand’Rue.
Cette longue rue joue le rôle d’épine dorsale de cette partie historique de la capitale des ducs de Lorraine.
Vous y découvrirez la basilique Saint-Epvre, une église néo-gothique du 19e siècle.
Plusieurs demeures de la Renaissance longent la rue (observez notamment les portes d’entrée). Certaines s’ouvrent sur d’admirables cours intérieures.
La rue se termine par la monumentale Porte de la Craffe, seul vestige des fortifications médiévales de Nancy.
La Grand’Rue est également réputée pour son atmosphère rétro, avec ses vieilles devantures de boutiques, ses librairies et ses commerces de bouche.
Pour en savoir plus sur Nancy
Sites de référence
- Itinéraire de visite dans la Ville-Vieille de Nancy
- Découvrir Nancy en 2 jours : mon itinéraire week-end
- Où dormir en Lorraine ? Mes bonnes adresses !
- Le site de l’Office de Tourisme de Nancy
- La porterie du duc Antoine, un article très complet !
Une épingle pour Pinterest
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