Vous pensiez avoir tout vu à Nancy : la place Stanislas, la place de la Carrière, la Pépinière, la vieille-ville, la cathédrale, la Ville-Neuve, l’Art Nouveau, les musées… Vous avez encore quelques belles découvertes à faire. Surtout s’il vous reste un peu de temps et que vous êtes tombés amoureux de la ville. Alors, sortons des sentiers battus et partons à la recherche des… marécages de Nancy ! Et remontons le temps pour découvrir les grands événements de la célèbre Bataille de Nancy (1477).
La rue Saint-Jean
Commençons notre exploration par la rue Saint-Jean. De passage à Nancy, vous ne pouvez pas la manquer : il s’agit d’une des principales rues commerçantes de la ville.
Longue et en ligne droite, elle est prolongée au-delà du carrefour dit « Point Central » par la rue Saint-Georges.
On y trouve magasins, boutiques, banques… ainsi que certains fleurons architecturaux de l’Art Nouveau.
La ligne de tramway l’emprunte sur toute sa longueur.
En voici quelques aperçus :
Bon, me direz-vous. Pas de zones humides ni marécages en vue.
Certes, mais remontons le temps. A la création de cette grande artère.
En 1596, le duc de Lorraine Charles III entreprend un projet unique en Europe : la construction d’une ville nouvelle à côté de la vieille-ville médiévale.
Nous sommes en pleine Renaissance. Le duc réalisera un des premiers plans en damier en Europe depuis la chute de l’empire romain. Telles les bastides fondées au Moyen-Age, on traça des rues rectilignes qui se croisaient en angle droit, créant ainsi des îlots de forme carrée ou rectangulaire.
D’autres villes nouvelles suivront : Mannheim (1606), Edimbourg (18e s.), sans oublier les grandes cités américaines aux 17e et 18e siècles (New York, Washington DC, Philadelphie…).
Mais revenons à Nancy. La rue Saint-Jean, datant donc de la fin du 16e siècle, fut la principale artère transversale de la Ville-Neuve.
Mais pourquoi lui a-t-on donné ce nom ?
Tout simplement parce que l’axe suivait un cours d’eau qui se jetait dans la Meurthe à l’Est : le ruisseau Saint-Jean.
Et ledit ruisseau tenait son nom d’un étang situé à l’Ouest de la Ville-Neuve : l’étang Saint-Jean.
Il faut faire un gros effort d’imagination pour le visualiser. A une époque où les faubourgs à l’Ouest de l’actuelle voie ferrée n’étaient que campagne, bois et marais.
Voilà, on commence à avoir les pieds dans l’eau…
Des marécages de Nancy ? Vous plaisantez !
Pas le moins du monde !
Pour certains historiens, le nom de Nancy est formé du suffixe « Nant » qui, en celtique, signifie le lieu des marais.
Remontons à l’an mil
L’actuelle métropole est située dans le sillon de la Meurthe. Il s’agit en fait d’une cuvette restée vierge d’habitations. Tout au plus, on mentionne l’existence d’un gué sur la Meurthe au 8e siècle.
Oh il existait bien des centres de peuplement sur l’actuel territoire de l’agglomération (Boudonville, Bouxières-aux-Dames, Laneuveville-devant-Nancy…). Une voie romaine longeait la rive gauche de la Meurthe reliant l’Alsace à Metz.
Cette cuvette était un endroit marécageux, entre Meurthe et les promontoires des côtes de Moselle. En dehors des axes traditionnels de circulation.
Pas très propice en effet au développement d’une ville.
Dans cette zone humide, se trouvait toutefois un petit hameau. Rien de plus. Il fut mentionné dès 896 sous la forme latinisée Nanceiacum. Oui, vous vous rappelez, le « nant » celtique, le « lieu des marais » ? Un lieu infesté de moustiques et boueux la moitié de l’année… Pas de quoi faire rêver.
Mais alors, pourquoi le duc de Lorraine choisit-il d’y implanter un château fort ?
Eh bien parce que ce lieu avait l’avantage d’être à peu près au centre des possessions éparpillées du jeune duc de Lorraine, Gérard d’Alsace (v.1030-1070).
Nancy naquit lorsque le duc édifia un château féodal à proximité du hameau de Nanceiacum. De cet événement date la première mention de Nancy : en l’an de grâce 1061.
Ce château a disparu du radar depuis longtemps (un incendie provoqué par l’empereur Frédéric II de Hohenstaufen au cours de la Guerre de Succession de Champagne détruisit la cité en 1218). La forteresse était située à l’emplacement de l’îlot actuellement délimité par les rues du Cheval blanc, de la Charité et des Dames. Vous pouvez vous y rendre mais à moins d’effectuer des fouilles dans les caves, vous ne verrez pas grand chose !!
Le fils de Gérard, le duc Thierry II « le Vaillant » (v.1040/50-1115), implanta la cité autour du château.
Mais la ville, dès lors devenue Nancy, se développa surtout à partir du règne du duc Mathieu II (v.1193-1251).
L’étang Saint-Jean et la commanderie
Mais hors des murs fortifiés de la ville, les marécages n’étaient jamais loin.
A l’ouest se situait un gros étang. Celui dont nous parlions ci-dessus. Imaginez cette belle étendue d’eau, repaire de moustiques avec ses roseaux et ses berges boueuses !
Son nom ? L’étang Saint-Jean.
L’eau du trop-plein s’écoulait dans un ruisseau : notre fameux ruisseau Saint-Jean. Oui, celui qui donna naissance à notre rue du départ, la rue Saint-Jean !
Une petite colline dominait le site. A son sommet on fonda une commanderie de l’ordre de Saint-Jean de Jérusalem. L’église, édifiée à la fin du 12e siècle, était flanquée d’un clocher cylindrique roman. Oui, un peu comme ceux que l’on aperçoit aujourd’hui en Irlande.
Il est donc fort probable que l’étang fut baptisé du nom de la commanderie.
Cet endroit devait être bucolique à souhait… ahhh entendez-vous le chant des oiseaux ? Sentez-vous la brise légère ?
Le rendez-vous européen des marécages de Nancy
Bon, maintenant je vais vous prouver par A+B que mes marécages de Nancy sont un lieu historique. Vous souriez ? Hmmm eh bien je vais faire de mon mieux pour vous expliquer tout ça.
5 janvier 1477 – retenez bien cette date !
Ce jour-là, l’étang Saint-Jean entra dans l’histoire européenne. La grande Histoire !
C’est sur ses rives boueuses et gelées que prit fin le rêve de fonder un grand royaume, de la mer du Nord au Rhône et à la Méditerranée. Un Etat entre le royaume de France et le Saint-Empire romain germanique. Le coming-back de l’ancienne Lotharingie.
Mais pour l’heure, on va parler de la Bourgogne… ou plus précisément, des Etats de Bourgogne.
La puissante Bourgogne de Charles de Valois-Bourgogne
En ces années 1470, la Bourgogne était à son apogée. Il ne manquait à son maître, Charles de Valois-Bourgogne qu’une seule pièce maîtresse pour réaliser son projet expansionniste : le duché de Lorraine.
En cette seconde moitié du 15e siècle, le duché de Bourgogne, ennemi du royaume de France, possédait, outre la riche Bourgogne, la Flandre, la Picardie, l’Artois, la Franche-Comté et l’Alsace.
Mais si vous regardez une carte historique de l’époque, vous vous apercevrez que son pouvoir s’étendait sur deux domaines séparés par… le duché de Lorraine.
Il était donc essentiel pour Charles de s’en emparer afin d’établir la jonction de ses possessions.
Le duc de Bourgogne avait même l’intention de faire de Nancy la capitale de son futur royaume !
Charles ceci, Charles cela, mais de quel Charles parle-t-on ?
Charles de Valois-Bourgogne (1433-1477) est surtout connu sous le nom de Charles le Téméraire. Ce surnom lui a été donné à titre posthume. On le connaît également sous les noms de Charles le Hardi ou Charles le Travaillant, Charles le Terrible, Charles le Guerrier. Mais son titre le plus glamour est sans conteste « le Grand Duc d’Occident ». Ça en jette sur le CV, non ?
L’idée saugrenue du siège de Nancy… en plein hiver
En 1475, Nancy est assiégée avec succès par Charles le Téméraire puis reprise par le jeune duc de Lorraine René II l’année suivante.
Le 22 octobre 1476, Charles le Téméraire mit le siège devant Nancy. Son armée s’installa sur une éminence (la place Thiers actuelle). Le duc de Bourgogne se plaça un peu en retrait, à proximité de la commanderie Saint-Jean.
L’hiver qui suivit se révéla particulièrement rigoureux. Le Bourguignon s’entêta et n’écouta pas les conseils de lever le siège jusqu’au printemps. Le moral des troupes bourguignonnes se dégrada. Les désertions se multiplièrent.
A Nancy, la population résista vaillamment. Les habitants en furent réduits à manger chiens, chats et rats. L’eau gelait dans les puits. Il fallait démonter le bois des toitures pour se chauffer.
La Bataille de Nancy et la mort surprise du Téméraire
Les bouquins scolaires d’histoire vous résumeront la Bataille de Nancy ainsi :
« Lors de la bataille de Nancy, en 1477, René II vainc le Téméraire, qui est tué devant les portes de la ville. L’événement mis fin au projet expansionniste bourguignon visant à l’émergence d’un vaste État bourguignon entre Saint-Empire et Royaume de France.«
Oui, mais voilà, Charles le Téméraire n’aurait jamais dû périr sur les berges glacées et boueuses de l’étang Saint-Jean !
Mais que s’est-il passé à la Bataille de Nancy ?
Revenons au jour de la bataille, le 5 janvier 1477. Journée hivernale. Neige le matin, soleil l’après-midi.
Aidé par les Suisses et les villes de Strasbourg, Colmar, Sélestat et Thann, le duc de Lorraine René II attaqua à revers l’armée bourguignonne. Les soldats du Téméraire furent massacrés en grand nombre près du ruisseau de Jarville, au Sud-Est de la ville.
Charles le Téméraire fut pris par surprise et se replia vers son QG, à la commanderie Saint-Jean. Non loin de l’étang Saint-Jean donc.
Sa maigre troupe se disloqua et plusieurs soldats s’enfuirent vers le nord avant d’être tués en embuscade au pont de Bouxières. Ceux qui suivirent le Téméraire furent rattrapés par les Suisses et les Lorrains. Et ils furent massacrés comme les autres…
Quand Charles le Téméraire rencontre Claude de Bauzemont
Les zones marécageuses peuvent se révéler périlleuses lors de combats.
On raconte que le malheureux Charles, blessé et tout empêtré dans sa lourde armure, s’était embourbé dans l’eau boueuse et gelée de l’étang.
Dans son malheur, il fut accosté par un châtelain lorrain de Saint-Dié, Claude de Bauzemont (ou Claude Bausmont).
Celui-ci déchargea un grand coup de lance sur la croupe du cheval noir du Téméraire, qui toucha l’arrière-train du duc. Renversé, le Téméraire se releva et se mit en position de défense.
Beaumont redoubla de courage et lui donna un coup sur le bras, puis un autre dans la cuisse qu’il perça.
Charles le Téméraire s’écria en suppliant : « Sauvez le duc de Bourgogne !«
Mais Claude de Bauzemont était sourd comme un pot. Le guerrier avait cru entendre « Vive le duc de Bourgogne !«
Dans un dernier élan d’héroïsme (ou de bêtise, nous le verrons plus tard), il acheva Charles d’un coup de hallebarde en pleine tête.
La tradition orale veut que le soldat lorrain se soit jeté sur lui sans reconnaître le Téméraire (ah oui parce qu’il était doté d’une mauvaise vue pour ne rien arranger à l’affaire).
Le duc fut abandonné là au bord de l’étang glacé, agonisant dans d’atroces souffrances, parmi les centaines de cadavres de son armée vaincue.
Avis de recherche : où est donc passé Charles ?
Le même jour, le duc René II de Lorraine entra triomphalement en sa bonne ville de Nancy, tout juste délivrée. Mais une question le tracassait. Il ignorait tout du sort de son ennemi. Etait-il vivant, en fuite, blessé, mort ?
Au lendemain de la bataille, René II fit chercher le duc de Bourgogne. Sans succès… jusqu’à ce qu’on lui amena son page romain. Le jeune homme affirma qu’il avait vu son maître tomber de cheval au bord de l’étang Saint-Jean.
Le surlendemain, mardi 7 janvier 1477, René se rendit en escorte sur le lieu indiqué par le page. Le duc de Lorraine découvrit le corps du Téméraire au bord de l’étang Saint-Jean. Après deux nuits de forts gels, le duc de Bourgogne était méconnaissable.
Imaginez le terrible tableau : nu dans la neige, la tête glacée et fendue de l’oreille aux dents, une joue dévorée par les loups, la cuisse et le derrière traversés par des coups de pique, et le reste du corps piétiné par les chevaux…
Oui, cette peinture d’Augustin Feyen-Perrin (ci-dessus) est d’une sobriété déconcertante par rapport à la réalité, beaucoup plus répugnante.
Et celle-ci, de Charles Houry, ne reflète pas totalement l’horreur que René II a pu constater :
Aucun souverain n’aurait imaginé une fin si horrible pour celui qui fut le seigneur le plus puissant d’Occident.
La mort de Charles était une bourde monumentale
Car après tout, il ne devait pas mourir de cette façon, tel un gueux. Le sort des puissants, vaincus aux combats, était l’emprisonnement. Ce qui permettait de mieux négocier une rançon (pensez notamment aux emprisonnements vécus par Richard Cœur de Lion au château du Trifels ou François 1er à Pavie).
Et c’est là tout le drame de l’histoire. Car notre sieur Claude de Bauzemont, sourd comme un pot et bigleux de surcroît, devait regretter son geste jusqu’à sa mort. Non pas qu’il fut pris de pitié pour le duc de Bourgogne… mais plutôt parce qu’en tuant le Téméraire, il avait réduit à néant la promesse d’une belle récompense de capture. Une bourde monumentale qui eut des conséquences à l’échelle européenne (comme nous allons le voir plus tard).
La légende orale raconte qu’il fut pris de tant de remords qu’il mourut de désolation en son château 6 ou 7 mois après la bataille.
Chambre mortuaire au numéro 30 Grand’Rue
Le corps de Charles le Téméraire, couvert de boue et pris dans la glace, fut extrait de l’étang marécageux puis transporté chez Georges Marquiez, dans sa maison de Nancy située au numéro 30 Grand-Rue. Là, on fit venir le médecin personnel du défunt pour identifier le duc de Bourgogne avec certitude.
« On ne le reconnut qu’a la longueur de sa barbe et de ses ongles, qu’il avait laissé croître depuis la bataille de Morat, et à une cicatrice qu’il avait au visage » (témoignage d’un religieux bénédictin).
Après avoir été lavé, son corps fut revêtu d’une longue robe brodée et la tête couverte d’une toque rouge.
Sur le trottoir, devant le numéro 30 de la Grand’Rue se trouve un pavage bicolore de 1853 signalant l’emplacement de la maison (aujourd’hui disparue) où a été déposé le corps de Charles le Téméraire le 7 janvier 1477).
L’inhumation de Charles le Téméraire
Grand prince, le duc de Lorraine organisa des funérailles fastueuses à son cher ennemi.
Selon la volonté du duc René, Charles le Téméraire fut inhumé dans la collégiale Saint-Georges de Nancy. Aujourd’hui disparue, l’église se situait le long de la Grand’rue entre l’actuel Palais du Gouvernement et le Palais Ducal.
A la demande de Charles Quint, la dépouille fut transférée à l’église Notre-Dame de Bruges le 24 septembre 1550. Le tombeau de Marie de Bourgogne, fille du Téméraire et grand-mère de Charles Quint figure à ses côtés.
Les conséquences de la mort du Téméraire
Et dire que cette zone humide fut le théâtre d’un événement funeste qui allait changer la face de l’Europe pour les siècles à venir. La bourde phénoménale du sieur de Bauzemont a profité à 3 partis :
- La mort du Téméraire soulagea le roi Louis XI. Le royaume de France annexa la Picardie et le duché de Bourgogne. Eh oui, c’est depuis ce temps-là que la moutarde dijonnaise est française !
- La Lorraine ducale retrouva son indépendance au sein du Saint-Empire.
- Trois mois après la Bataille de Nancy, on célébra le mariage de Marie de Bourgogne, fille du défunt avec l’archiduc d’Autriche Maximilien. Les Habsbourg récupérèrent le Sundgau (Haute-Alsace) et obtinrent la Franche-Comté et les Pays-Bas bourguignons (le Bénélux et les Flandres actuels). Cette expansion autrichienne menaça la France d’encerclement jusqu’en 1648 (Traités de Westphalie). Elle alimenta la rivalité entre la France et l’Autriche. Il faudra attendre la fin de la Première guerre mondiale pour que cesse définitivement cette longue inimitié avec le démembrement du vaste empire austro-hongrois.
Alors, ne sont-ils pas historiques nos marécages de Nancy ?
D’ailleurs, si les plans de Charles le Téméraire avaient réussi, on imagine bien que nous aurions aujourd’hui des Français, des Allemands et, entre les deux, des Bourguignons !
Nancy aurait été la capitale d’un grand royaume. D’aucuns auraient pu le regretter… mais heureusement le bon roi Stanislas passa par là quelques siècles plus tard pour l’embellir d’un quartier digne d’une capitale !
Les monuments commémoratifs édifiés par René II
Un certain nombre de monuments et sanctuaires furent édifiés dans la région de Nancy à l’occasion de l’événement funeste qui secoua l’Occident. Des édifices que nous pouvons aujourd’hui visiter.
L’ossuaire de Bonsecours
Près du ruisseau de Jarville où des milliers de Bourguignons trouvèrent la mort au combat, René II fit inhumer les corps dans une fosse commune. En 1484, le site du champ de bataille accueillit une chapelle appelée Notre-Dame de la Victoire ou de Bonsecours. Consacrée en 1498 par l’évêque de Toul, Olry de Blâmont, ce sanctuaire était destiné à remercier la Vierge Marie de la victoire du duc de Lorraine contre le Téméraire. Les Nancéiens la surnommaient à juste titre la « chapelle des Bourguignons« .
Dès son arrivée en Lorraine, le dernier duc de Lorraine, Stanislas Leszczynski (1677-1766) entrepris la démolition et la reconstruction de la chapelle (1737-1741). Il confia à l’architecte Héré la tâche de bâtir un nouveau sanctuaire (style rococo religieux unique en France) qui accueillerait son mausolée.
Petit détail qui vous glace le sang… saviez-vous qu’une trappe dissimulée dans le plancher de l’église mène à l’ossuaire où reposent ces milliers de soldats ? La voici :
La basilique de Saint-Nicolas-de-Port
Pour remercier Saint-Nicolas, patron des Lorrains, de sa victoire contre le Téméraire, René II finança la construction d’un imposant sanctuaire dans la ville de Port (la future Saint-Nicolas-de-Port). Située au Sud-Est de Nancy, la petite cité médiévale était à l’époque le centre économique de la Lorraine ducale, célèbre pour ses foires.
La construction commença en 1481 et l’église achevée fut consacrée bien plus tard, en 1560.
L’église, de style gothique flamboyant, devint une des plus hautes de Lorraine. Son édification symbolise non seulement la victoire de 1477, mais aussi l’indépendance retrouvée de la nation lorraine.
La croix de Bourgogne de l’étang Saint-Jean
Revenons à nos marécages. A l’emplacement de la funeste découverte, on dressa une simple croix à double traverse.
En fait, la croix que fit édifier le duc René II était une « croix d’Anjou » (celle de ses ancêtres). Elle sera rapidement connue sous le nom de « croix de Lorraine« . Mais curieusement, on appela le site « croix de Bourgogne » en référence au duc de Bourgogne mort au bord de l’étang. C’est à en perdre son latin !
On ne sait pas trop à quoi la croix ressemblait. Pour cause, ce ne sont pas moins de quatre monuments qui se sont succédés sur le site jusqu’au début du 20e siècle.
Si vous aviez pu observer l’inscription figurant sur la croix, vous auriez été surpris :
« En l’an de l’incarnation 1476, la veille de l’apparition, fut le duc de Bourgogne occis…«
1476 ? Ce n’est pas une faute de frappe. A cette époque, l’année calendaire commençait au 1er avril. Le 5 janvier faisait donc partie de l’année N-1, vous me suivez ?
Pour la petite histoire, Charles Quint (empereur du Saint-Empire romain germanique dont dépendait à l’époque le duché de Lorraine), avait fixé le début de l’année au 1er janvier en 1544. Pour en savoir plus !
La fin de l’étang Saint-Jean et des marécages de Nancy
La ville s’est dangereusement rapprochée de l’étang à la fin du 16e siècle lorsque le duc Charles III fonda la Ville Neuve (avec notre fameuse rue Saint-Jean). Les eaux de l’étang communiquèrent avec les douves des fortifications de la nouvelle ville.
Mais l’étang Saint-Jean, autant historique que bucolique, était cependant voué à disparaître. La faute à l’arrivée du chemin de fer.
Lors de la construction de la gare et de la voie ferrée Paris-Strasbourg, il fut décidé d’assécher l’étang. Un des derniers témoins naturels de la « cuvette de Nancy » disparu ainsi en 1846-1847.
A l’emplacement de l’étang et tout autour de la commanderie Saint-Jean, surgit hors de terre tout un quartier résidentiel.
Je n’ai malheureusement pas trouvé de photos de l’étang avant son drainage… pas sûr qu’il en existe vu que la période coïncidait avec les débuts de la photographie.
Le site de l’étang Saint-Jean aujourd’hui
Si l’urbanisation des faubourgs ouest de Nancy avait supprimé toutes traces de marécages, on n’oublia pas le souvenir de la Bataille de Nancy.
Une place arborée fut créée autour de la croix de Bourgogne : la place de la Croix-de-Bourgogne.
Voici ce à quoi elle ressemblait au début du 20e siècle :
Et aujourd’hui :
De 1821 à 1933, l’emplacement où fut retrouvé le corps du duc de Bourgogne était indiqué par un 4e monument (depuis la croix originale de 1477). Il s’agissait d’un monument de pierre ayant la forme d’une demi-colonne corinthienne néoclassique surmontée d’une croix de Lorraine. Construite en 1821, la croix fut déposée en 1933 et envoyée au Musée lorrain à Nancy.
Elle fut remplacée par un édicule monumental de Victor Prouvé, membre de l’Ecole de Nancy.
Faites le tour du monument. Vous observerez :
- sur la face est – le duc René II, arborant le blason du duché de Lorraine et brandissant la croix de Lorraine, en signe de victoire. Ainsi que l’inscription : Bataille de Nancy – 5 janvier 1477 – Ici la Victoire de René II assura l’indépendance de la Lorraine et fixa les destinées de la France. Remarquez les blasons au-dessous de « 1477 » : l’Alsace et la Suisse, ainsi que le chardon de Nancy (Qui s’y frotte, s’y pique)
- sur la face nord – le blason de Lorraine et l’inscription « Vive Lorraine »
- sur la face l’ouest : le blason de Charles le Téméraire.
- sur la face sud : le blason de Bourgogne et l’inscription « Vive Bourgogne ».
Aujourd’hui, la place est prolongée au-delà de la courte rue Jean Prouvé, par la place de l’Etang Saint-Jean…
Puis par l’esplanade Philippe Seguin…
… laquelle mène au viaduc Kennedy.
Ah oui, le paysage a bien changé depuis le 19e siècle et l’assèchement de l’étang Saint-Jean !
En lieu et place de notre étang bucolique : le viaduc Kennedy, l’emprise de la voie ferrée et le siège de la Métropole du Grand Nancy. On a vraiment du mal à croire qu’il y a plus de 170 ans, ce n’était ici que marécages… et moustiques !
La commanderie Saint-Jean aujourd’hui
De l’ancienne commanderie de l’ordre de Saint-Jean de Jérusalem qui dominait l’étang éponyme, il ne reste plus grand chose.
La commanderie fut fondée par le duc Mathieu I en 1177 sur le site d’un ancien cimetière (d’où son nom de Vieil Aître) datant de l’époque mérovingienne.
L’église fut rasée en 1882 pour laisser place à des habitations, à l’exception du vieux clocher.
D’une hauteur de 20 mètres, la pittoresque tour cylindrique est aujourd’hui le plus vieux monument de Nancy. Mais aussi son seul édifice de style roman.
La tour cylindrique est percée à sa partie supérieure de trois baies géminées en plein cintre.
La tour de la commanderie se situe aujourd’hui au 84 avenue Foch. Si vous vous y rendez, profitez-en pour admirer quelques beaux bâtiments de style Art Nouveau construits dans le quartier.
Un tout dernier point sur les marécages de Nancy !!
J’ai consulté de nombreux ouvrages, sites internet et blog afin de recueillir les informations me permettant d’écrire cet article.
Vous vous en doutez, les traces écrites d’un passé si lointain sont difficiles à dénicher, voire inexistantes. Beaucoup d’informations ont été transmises par la tradition orale. Et, au fil des générations, la vérité a pu être déformée, minimisée, oubliée…
Ainsi, dans mes recherches j’ai souvent été confronté à des informations contradictoires !
Tout ceci pour vous dire que cet article ne doit pas être pris pour un essai historique – car même si j’aime l’Histoire, je ne suis pas historien ! Si vous voulez en savoir plus, vous trouverez ci-dessous quelques liens vers des sites et blogs plus complets, notamment sur la fameuse Bataille de Nancy…
Les marécages de Nancy : quelques liens utiles
- Office de tourisme de Nancy – toutes les infos et offres touristiques sur Nancy.
- La commanderie Saint-Jean sur le blog Patrimoine de Lorraine
- La Bataille de Nancy sur wikipedia.fr
- Récit détaillé de la Bataille de Nancy sur le blog Patrimoine de Lorraine
- La place de la Croix-de-Bourgogne sur Le Point
- Livre Le Patrimoine du Grand Nancy par Pierre Gras – ce livre se propose de faire découvrir les environs de Nancy qui reflètent, autant que la ville, les trésors de ce qui fut le duché de Lorraine. Commandez le livre sur amazon (lien-ci-dessous) :
Inspiré par la folle histoire des marécages de Nancy ? Epinglez sur Pinterest :
Pour ce premier rendez-vous 2019 de l’événement #EnFranceAussi, le thème choisi par Mitchka du blog Fish & Child est « zone humide ». Ce RV interblogueurs, initié par Sylvie du blog Le coin des Voyageurs, a pour objet de (re)-découvrir les beautés de la France.
Découvrez les articles de ma participation à l’événement interblogueurs #EnFranceAussi. Cliquez sur le lien ici pour les lire !
Merci pour cette belle plongée dans l’histoire de Nancy !
Avec plaisir Sandrine ! 🙂
Excellent !
Nancéien de toujours je découvre enfin les secrets de toute cette histoire !
Merci infiniment
Avec grand plaisir Claude, merci d’être passé sur le blog ! 🙂
Ouah, merci pour cette leçon d’histoire, c’est super intéressant!
Merci Anne… j’ai essayé de ne pas trop pousser dans les détails historiques hahaha!!
Juste géniale cette remontée dans le temps !! Bravo, c’est un gros travail de documentation !!
Merci Mitchka… oui, j’ai épluché pas mal de doc pour faire revivre les ‘zones humides’ de Nancy !! Merci beaucoup pour ce thème passionnant 🙂
C’est fascinant tout ça, moi aussi j’adore l’Histoire et j’avoue ne m’être jamais penché sur celle de la bataille de Nancy, à tort. Merci pour cette intéressante et originale balade 🙂
Eh bien moi aussi, la Bataille de Nancy c’était assez floue pour moi. Je savais que Charles le T. était mort près d’un étang mais sans plus. J’ai appris beaucoup de choses en écrivant cet article ! Merci à toi 🙂
Nancy, est une ville d’art et de culture au passé très riche. Je n’aurais jamais pensé qu’elle fut fondée au départ sur un vaste Marais. Ton article est très bien documenté on en apprend beaucoup grâce à toi ! Bonne journée. A bientôt.
Merci beaucoup Martine ! Eh oui, qui aurait pu soupçonner une telle chose ?! Ce n’est pas sans rappeler le fameux quartier du Marais à Paris où les marécages ont disparu depuis bien longtemps 🙂
Quel article complet, bravo ! Je découvre ton blog via #EnFranceAussi, c’est très riche en informations ! Si on n’est pas du coin, on ne peut pas savoir qu’il y avait des marais à Nancy ! 🙂
Merci Anne pour être passé sur le blog ! Je suis ravi que tu aies découvert ce côté insolite de Nancy ! A très bientôt 🙂
Waouh ! Quel incroyable travail de recherche pour retracer cette folle histoire des marécages de Nancy ! Je ne me souviendrai malheureusement pas de tout (et pourtant j’essaie de faire des efforts…) mais pour moi qui suis franchement nulle en histoire (et géo aussi…), c’était très instructif. Bravo à toi et merci beaucoup pour ce partage !
Merci infiniment pour ton gentil commentaire Sylvie ! J’essaie de rendre l’histoire accessible au plus grand nombre et je suis ravi de savoir que tu as apprécié la lecture 😉
Merci pr cet article
avec incursion dans l histoire en prime
tu as l art de nous surprendre
Merci Tania ! Oui, on peut trouver de l’Histoire dans n’importe quel thème, même sur les marécages infestés de moustiques ! ?
Un milieu humide qui offre en plus une super leçon d’Histoire, j’adore!
Merci beaucoup Annabelle pour ce gentil commentaire, ravi que la petite leçon d’Histoire te plaise ! 🙂
Super cette visite, j’étais loin de soupçonner que cette jolie ville (que je ne connais pas d’ailleurs, mais que j’ai envie de découvrir pour ses monuments) était bâtie sur l’eau, ou presque ! C’est très intéressant, et ça me fait penser à Nantes, ma ville, qui elle aussi un temps était parcourue de canaux… au point qu’elle était surnommée la Venise de l’Ouest.
Merci Caro, moi aussi j’ai bien envie de découvrir Nantes… il y a effectivement toute une histoire passionnante sur les canaux aujourd’hui couverts ! A bientôt !
je suis admirative aussi ce de travail de recherche! Merci !
Rhôôô tu vas me faire rougir ! ☺️ Merci beaucoup Eimelle !!
Merci pour cette page d’Histoire très intéressante , ma journée n’est pas perdue
Ouf je suis soulagé ! (que la journée ne soit pas perdue ?). Un grand merci Ghislaine pour le commentaire et bon weekend !
Le genre d’article qui me plait !
J’aime retrouver dans les villes visitées les traces laissées par l’histoire. Autant dire que là je suis gâté. Merci pour cette évocation de la grandeur et de la fin de Charles le Téméraire.
Merci Alain pour ton gentil commentaire… je suis ravi que l’histoire des ‘zones humides’ de Nancy t’ait plu autant ! A très bientôt ! ??
Et bien, voilà une zone humide pleine d’histoire ! Merci cet article fort complet… ayant des arrière-grands-parents qui vivaient rue Saint-Jean, je verrai maintenant cet endroit d’un autre oeil grâce à toi !
Merci Paule-Elise, avec grand plaisir ! En effet, c’est incroyable de pouvoir faire ce lien avec tes aïeuls habitant dans la rue St Jean ! 🙂
une belle leçon d’histoire ! originale ta façon d’aborder le thème de ce mois-ci 😉
Merci pour ton commentaire… oui, les zones humides baignées d’histoire ?
Super article !! Complètement absorbée par cette histoire, ou plutôt l’Histoire. Merci !
Merci beaucoup Edith pour ce gentil commentaire. Heureux que cet article « historique » t’ait plu 🙂
Je ne connaissais pas très bien l’histoire de Charles le Téméraire (que je découvre grâce à toi) en revanche celle de Jean-sans-Peur oui. Peut être connais tu sa tour qui se visite et où sont régulièrement abordés des thèmes qui évoquent à merveille le Moyen-âge.
« Des Français, des Allemands et, entre les deux, des Bourguignons ! » J’irais bien piquer la Delorean pour voir tout ça.
C’est encore une histoire fabuleuse que tu nous racontes là tout en étant de le thème. Chapeau! Et comment que ces marécages sont historiques. Je suis toujours aussi fascinée par tes articles. Merci Pierre c’est un véritable plaisir de te lire.
Merci Sabrina (tu vas me faire rougir ☺️ !!!) Oui je connais la tour de Jean Sans Peur à Paris. Je l’ai visitée avant de partir m’installer dans mes montagnes… j’ai adoré la visite et notamment le fabuleux décor végétal de la voûte d’escalier ! Il faut que je lise ton article… je suis super en retard ce mois-ci ! A très vite, Pierre.
Bravo, moi venant du Toulois, qui ai fait mes études à Nancy interne à l »ENP des jardiniers, j’adore découvrir des racines lorraines et l’histoire depuis nos ancêtres lointains. Après divers périples en France, en Belgique, je suis à Lyon et y ai écris 6 livres économiques sur la France et un qui va sortir » La vie d’un mal de dos, guéri » titre provisoire. chroniqueur j’écris un article par semaine dans Economie Matin. Objectif : Remonter le niveau de la France par le bas. wwww.danielmoinier.com
Un grand bravo pour toutes vos publications que je suis avec grand intérêt.
Merci beaucoup Daniel ! Et vive la Lorraine ! 🙂
le bonjour à vous,
continuant l’histoire de Charles, savez-vous que charles le quint, amena sa dépouille à luxembourg dans l’abbaye des franciscains, la place de l’hôtel de ville actuelle. charles le téméraire y resta un an avant d’être transféré à bruges,
Merci pour ces précisions ! 🙂
Article extrèmement intéressant et très agréable à lire
Merci, merci
Une lorraine
Merci à vous pour le commentaire ! 🙏👋
Bonsoir Pierre vous avez fait fort avec cette article aujourd’hui ( enfin avec tous vos articles ) mais nous faire replonger dans l’histoire comme ça , vous avez consacré beaucoup de votre temps pour toutes ces belles recherches .
Bonne soirée à vous et belle semaine .
Martine
Avec plaisir Martine ! C’est vrai que des articles de ce genre prennent beaucoup de temps. Surtout au niveau des recherches car je m’assure que ce qui est écrit est le plus correct possible, avec double vérification des sources !! 🙂
Bonjour Pierre ,merci pour cette belle remontée dans le temps. Surtout que je demeure juste à coté; rue de Belfort ,donc à quelques mètres de la place de croix de bourgogne. Je suis passionné par l’histoire de Nancy.Encore merci.
Avec plaisir Daniel ! Merci et bienvenue sur le blog !
Un grand merci Pierre de m’avoir fait rêver grâce à votre très bel article , bien détaillé sur votre
belle ville de Nancy ,
cela m’a rafraîchi la mémoire
tout y est bien détaillé .
J’avais bien sûr visité Nancy et les alentours , mais revoir tout cela c’était merveilleux
Bonne continuation à vous et bonnes vacances
Amicalement Yvette
Avec grand plaisir, merci Yvette ! 🙂