Si vous suivez mon blog depuis quelque temps, vous savez que j’aime me laisser surprendre par des anecdotes historiques. Ce sont parfois de petits détails qui donnent une dimension nouvelle à un monument ou un site particulier. C’est comme une chasse au trésor. Et pour ouvrir le coffre au trésor, il faut avoir la clé. Cette clé s’appelle… la curiosité ! Suivez-moi sur les traces des Habsbourg à Thann et ouvrons grands nos yeux aux merveilleuses clés de voûte de l’église collégiale Saint-Thiébaut.
Mon dernier passage à Thann
En cette belle matinée d’octobre, je m’apprêtais à partir en voyage de Mulhouse à Nancy. Au programme de la journée : découverte de la Cité du Train de Mulhouse, visite guidée de la collégiale de Thann et passage dans le centre-ville de Remiremont.
Après avoir arpenté les allées du musée ferroviaire, j’ai pris le tram jusqu’à la gare de Thann où m’attendait André Walgenwitz.
André m’avait auparavant écrit pour me proposer une visite-guidée de la collégiale Saint-Thiébaut, sur les pas des Habsbourg à Thann. Et j’avais accepté. Ayant quelques connaissances historiques sur la période autrichienne du Sundgau, cette visite avait suscité ma curiosité.
Et, pour tout vous dire, je n’étais pas au bout de mes surprises !
Je connaissais la collégiale Saint-Thiébaut et j’y étais déjà entré de nombreuses fois. Mais rien ne vaut un guide pour vous faire découvrir ces petites choses qui n’ont l’air de rien, mais qui ont une importance capitale !
Et avec André, j’étais en bonne compagnie. Sa passion communicative m’a interpellé. Ensemble, nous avons fait le tour de l’édifice et surtout, nous avons beaucoup levé les yeux. Je vais vous expliquer pourquoi mais avant toute chose, faisons un petit débriefing sur Thann.
Sur les traces des Habsbourg à Thann
Thann est une petite cité historique située en Haute-Alsace. Porte d’entrée sud de la prestigieuse Route des Vins d’Alsace, elle contrôle depuis toujours l’entrée de la vallée de la Thur, donnant accès à la route stratégique Bénélux-Bâle (aujourd’hui RN 66) par la vallée de la Moselle.
D’après la légende, la ville fut fondée suivant le miracle de saint Thiébaut. Du 12e au 14e siècles, Thann faisait partie des possessions sundgauviennes des comtes de Ferrette, lesquels avaient construit un château surplombant le site : l’Engelsbourg (ou château des anges).
Thann devint une ville autrichienne
Puis, en 1324, le dernier comte de Ferrette, Ulrich III, s’éteignit. Les funérailles du comte eurent lieu à Thann, le 15 mars 1324, devant la chapelle des Franciscains (à l’emplacement de l’actuel hôpital Saint-Jacques).
Parmi les personnes présentes se trouvaient sa fille, Jeanne de Ferrette, héritière du comté, et un certain Albert II, héritier de la Maison Habsbourg.
Leur mariage avait été arrangé avant la mort du comte et le contrat fut signé au château de l’Engelbourg à Thann le 17 mars 1324.
A la fin du mois de mars, on célébra à Thann le mariage de Albert II de Habsbourg et de Jeanne de Ferrette. La cérémonie officielle, organisée à Bâle en présence de la noblesse, attendrait le mois de mai.
Ainsi, à partir de 1324 et jusqu’aux Traités de Westphalie du 24 octobre 1648, Thann fut une ville autrichienne, possession héréditaire des Habsbourg.
La Collégiale Saint-Thiébaut et les Habsbourg à Thann
L’église collégiale Saint-Thiébaut de Thann fait partie des plus beaux sanctuaires de style gothique dans la région du Rhin supérieur. Un ancien dicton local disait :
« Si le clocher de la cathédrale de Strasbourg est le plus haut, et celui de Fribourg est le plus gros, alors l’église de Thann a le plus beau ».
La collégiale est un monument pour lequel on pourrait écrire une encyclopédie. Dans cet article, nous allons nous limiter à un thème précis : révéler les traces des Habsbourg à Thann.
Une église qui doit beaucoup à Jeanne de Ferrette
L’église actuelle doit beaucoup à Jeanne de Ferrette. Dès 1330, Jeanne, devenue duchesse d’Autriche, poursuivit le projet de construction d’une église à Thann, initialement lancé par son défunt père, Ulrich III. Cette église correspond à l’actuelle nef sud de la collégiale.
André me raconte que, selon un professeur à l’université de Tel-Aviv, Jeanne de Ferrette fut également la mécène et l’inspiratrice avisée du statuaire de l’église de Thann et notamment du tympan du grand portail ouest.
La visite extérieure de la collégiale de Thann
A l’approche de l’église, je ne peux m’empêcher de photographier l’élégante flèche.
Culminant à 78 mètres, cette dentelle de pierre fut terminée en 1516.
Mais déjà, André m’amène près de la magnifique façade occidentale et m’invite à lever les yeux au-dessus du portail gauche. Là, à peine visible (et à contre-jour à cet instant précis), on aperçoit un blason gravé dans la pierre :
Tiens, mais c’est un blason qui m’est familier. Je l’ai vu à Ferrette :
Puis j’ai retrouvé les deux poissons dans les armoiries des ducs de Lorraine au Palais ducal de Nancy :
Il s’agit du blason des comtes de Ferrette : deux poissons dorés sur fond rouge. En Lorraine, ils sont apparentés aux comtes de Bar (sur fond bleu). J’aurai l’occasion de vous en reparler dans un prochain article.
Avant d’entrer dans l’église, nous avons observé la statuaire du magnifique portail occidental.
Et, surprise, on peut y découvrir l’aigle à deux têtes des Habsbourg :
Le blason initial et familial des Habsbourg fut un aigle qui n’apparaît qu’une seule fois à Thann.
L’aigle à deux têtes représente quant à lui l’empire bicéphale qui est le Saint-Empire Romain et germanique. (Romain en tant que successeur de l’empire romain et germanique en tant que successeur de l’empire de Charlemagne).
Les clés de voûtes armoriées de la collégiale Saint-Thiébaut
Mais de plus grandes surprises m’attendaient à l’intérieur.
Pour commencer la visite, André pointe le doigt sur les clés de voûte, récemment restaurées.
Ces jolies clés armoriées, sculptées et peintes sont incroyables.
André, armé d’une puissante torche, m’éclairait les clés de voûte pour que moi, armé d’un puissant objectif, je puisse les photographier à l’envie !
Chacune représente une famille noble et évoque une période précise de l’histoire de l’Autriche et plus particulièrement des Habsbourg à Thann. André, tel un livre ouvert, m’en expliquait tous les détails… c’était passionnant.
Mais pourquoi tant de clés de voûte armoriées aux couleurs de l’Autriche ?
André m’en a donné l’explication. Et je me permets de reporter ici quelques unes de ses grandes lignes :
« La collégiale de Thann illustre ainsi une histoire qui la dépasse largement, tant sur le plan géographique que sur le plan historique local. Elle témoigne de l’histoire de l’Autriche, depuis ses origines, complétée par celle de ses alliances princières qui se situèrent au niveau des plus grandes cours européennes. […]
La décision d’installer ces blasons à Thann est due à une volonté supérieure qui se situait au niveau du duc Sigismond et de l’empereur Maximilien Ier lui-même. Ils voulurent ainsi rappeler leurs origines et honorer leur aïeule Jeanne de Ferrette. […]
La collégiale de Thann est ainsi devenue l’illustration sublime et posthume du fabuleux destin de cette exceptionnelle princesse alsacienne qui fut l’aïeule de tous les Habsbourg. »
Sélection de clés armoriées
Voici une petite sélection de clés de voûte armoriées présentes à Thann.
➡︎ Le médaillon de l’Autriche :
➡︎ Le médaillon de la ville de Thann (sapin en allemand) :
➡︎ Le médaillon de Maximilien Ier d’Autriche, d’Anne de Bretagne et de Marie de Bourgogne :
➡︎ Le médaillon de Sigismond de Habsbourg :
On y voit les blasons de ses trois épouses :
- Radegonde de Valois, fille de Charles VII, sœur de Louis XI.
- Marie Stuart (lion rouge) fille du roi d’Ecosse et
- Catherine de Saxe.
Malgré ses trois épouses Sigismond resta sans descendance !
➡︎ Le médaillon qui résume l’histoire de l’Autriche.
- L’ancienne Autriche (5 aigles) du temps des Babenberg jusqu’en 1193,
- la nouvelle Autriche (trois bandes) à partir de 1193,
- le blason du Tyrol (aigle rouge).
➡︎ Le médaillon de Maximilien Ier de Habsbourg, empereur du Saint-Empire romain germanique :
Anecdote : au moment où Maximilien épouse Marie de Bourgogne (1477) il n’a aucun titre particulier. Lorsqu’il épouse (décembre 1491) Anne de Bretagne, il est roi des Romains (élu en 1486), de ce fait, à ce moment-là il est représenté par un aigle à une tête. Ce n’est qu’en 1493 que son aigle aura deux têtes après avoir succédé à son père, l’empereur Frédéric III.
➡︎ Le médaillon de Catherine de Bourgogne, fille du duc de Bourgogne, Philippe le Hardi et de Marguerite de Flandres (et nièce du roi de France Charles V) :
Ainsi, avec le recul, je constate que l’Autriche était omniprésente !
Mais qu’avons-nous donc appris à l’école ?
Oui, les traces Habsbourg à Thann, de leurs blasons aux magnifiques clés de voûtes, sont encore visibles aujourd’hui, aux yeux de tous. C’est à se demander pourquoi nous n’avons pas appris cette période de l’histoire dans nos livres d’école ?
Il s’agit en effet d’un long débat, mais en sachant que l’Alsace n’a pas été française avant 1648, (1681 pour Strasbourg et 1798 pour Mulhouse) pourquoi ne nous a-t-on pas enseigné l’histoire régionale ?
Combien de personnes à Thann, à Belfort ou à Altkirch savent que leur région était autrichienne bien avant d’être française ?
Le programme scolaire étant ainsi fait, on enseignera à un écolier à Thann l’histoire de France (et surtout de Paris) jusqu’à la guerre de Trente Ans sans mentionner l’histoire locale d’une ville appartenant aux puissants Habsbourg ! 🤔
Et là, de façon bien incongrue, je me suis rappelé les premiers mots de cette chanson de Boris Vian, interprétée avec humour par Henri Salvador, d’origine antillaise : Nos ancêtres les Gaulois. Henri Salvador racontait que, enfant, un de ses professeurs aux Antilles lui parlait de « nos ancêtres les Gaulois », ce qu’il trouvait drôle et anachronique. Mieux vaut en rire avant que le ciel nous tombe sur la tête ! 😂
Voyez-vous, le cas que je soulève ici n’est pas unique à Thann et à l’Alsace.
Mais, revenons à notre visite de la collégiale Saint-Thiébaut et admirons à présent les vitraux.
Dans le chœur, les vitraux révèlent les Habsbourg à Thann
Une fois positionné au milieu du chœur, mon regard est attiré par les magnifiques stalles en bois de chêne.
Mais André souhaite me montrer autre chose et dirige mon regard vers les belles verrières. Certains des vitraux du chœur remontent au 15e siècle.
Ainsi, deux tiers des vitraux du chœur ont été installés vers 1430 !
En y regardant de plus près, on aperçoit encore les traces des Habsbourg à Thann…
Cette verrière a été restaurée pendant la période du Reichsland (annexion de l’Alsace par l’Allemagne entre 1871 et 1918) :
Ce vitrail suivant date du 19e siècle et montre saint Thiébaut, le saint patron de la collégiale, en compagnie de deux pèlerins :
La voûte du chœur
Comme à l’extérieur, on retrouve le blason aux deux poissons de Ferrette à l’intérieur de l’église. André pointe du doigt le sommet de la première voûte du chœur.
Mon guide m’apprend que le fameux blason aux deux poissons se retrouve également à plusieurs reprises à la cathédrale Saint-Etienne de Vienne en Autriche. Durant sa résidence à Vienne, Jeanne de Ferrette semble être restée très attachée à ses racines alsaciennes.
Ce fut particulièrement le cas de son premier fils Rodolphe IV qui se fit représenter à plusieurs reprises en statues ornant la cathédrale Saint-Etienne de Vienne. Et devinez quel blason l’accompagnait à chaque fois ?Celui aux deux poissons, pardi !
La fin de la visite
Notre visite s’achève, il est temps pour moi de reprendre la route qui mène à Nancy par le col du Bussang et Remiremont.
Je quitte Thann avec un léger torticolis et avec le bonheur d’avoir pu saisir les secrets d’une église exceptionnelle, un témoignage gravé dans la pierre de l’histoire de l’Autriche en terre alsacienne !
Merci beaucoup André pour cette visite qui, encore aujourd’hui, m’a laissé un souvenir inoubliable !
Où séjourner à Thann ?
Thann est idéalement située sur la RN 66 entre le Bénélux et la Suisse, non loin de l’agglomération de Mulhouse. Vous trouverez plusieurs idées d’hébergement en cliquant ici. Ou bien, laissez-vous guider en navigant sur la carte ci-dessous :
Booking.com
Vous pouvez également cliquer ici pour découvrir le gîte d’étape du cercle Saint-Thiébaut d’une capacité de 20 lits.
Pour en savoir plus
Sites de référence
- Lisez mon article de découverte de Thann
- Lisez l’article sur le Sundgau autrichien pour en savoir plus sur le couple Albert II – Jeanne de Ferrette
- Le site de l’Office de Tourisme des Hautes-Vosges-Alsace
Une épingle pour Pinterest
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Je pense que les deux poissons sur le blason de Jeanne de Ferette vient sans doute de la maison de Scarpone qui était une ancienne famille noble Lotharingienne qui possédait entre autre le Comté (devenu ensuite duché) de Bar par la suite attaché au duché de Lorraine… Concernant l’histoire vous savez la Lorraine historique voisine en tant qu’Etat biculturel et bilingue, a donné un empereur à l’Autriche (d’où l’usage du nom de Habsbourg-Lorraine depuis le XVIIIe), a été bien plus tard rattaché à la France et on en fait encore moins de cas…que pour l’Alsace. Enfin pour ce qui tient à insérer la notion de gaulois pour pointer la courte période « d’Autriche Antérieure » d’une petite partie de l’Alsace c’est un peu anachronique ne pensez vous pas? 😉
J’ai en effet publié par la suite un article plus détaillé sur l’histoire des fameuses armoiries aux deux poissons > https://mon-grand-est.fr/deux-poissons/ dans lequel j’évoque plus longuement l’histoire de Bar et de Lorraine. Bien à vous !
Merci Pierre pour ce magistral cours d’histoire de notre belle région, historique trop peu connu car non enseigné.
Ce document est superbement détaillé. Ayant visité récemment l’église de Thann, je viens de découvrir moultes sujets décoratifs qui m’avait échappé. La prochaine visite se fera avec un regard différent grâce à toi.
Merci Paul, ravi de t’avoir fait découvrir des aspects cachés de la collégiale ! A bientôt !
Merci Pierre,
Encore une somptueuse visite…. Je conserve toutes vos découvertes dans un dossier « spécial Pierre »
Avec grand plaisir ! 🙂