L’illustre famille des comtes de Ferrette (Grafen von Pfirt en allemand) est la première dynastie à avoir marqué le Sundgau, En étudiant l’histoire du comté de Ferrette, on se rend vite compte que ce territoire au sud de l’Alsace se rattache intimement à des territoires du Nord-Est de la France : Alsace bien sûr, mais aussi Lorraine et Franche-Comté – et de Suisse : Porrentruy, Delémont, et surtout Bâle.
Petite précision à lire avant de découvrir ce qui suit !
La période de l’histoire que je vais vous raconter remonte à des temps fort anciens (11e-14e siècles). La documentation des faits étant plutôt rare, j’ai observé que plusieurs informations apparaissaient approximatives voire contradictoires selon les sources. J’ai essayé de faire la part des choses en recoupant des événements marquants. Ceci dit, si vous trouvez des erreurs ou des imprécisions, ou si vous avez même des faits à ajouter à cette étude dans le but de l’améliorer, je vous invite à laisser un commentaire ci-dessous ! 🙂
Le comté de Ferrette, c’était où ?
À la mort du dernier comte de Ferrette Ulrich III, le comté de Ferrette (en allemand : Grafschaft Pfirt) correspondait aux territoires de trois seigneuries principales : Ferrette, Altkirch et Thann, auxquelles furent rajoutées celles de Belfort, de Delle et de Rougemont. Le comté doit son nom au château de Ferrette, également siège du pouvoir comtal. Connu sous le nom de Pfirt en allemand et Ferrette en français, les documents latins d’époque le réfèrent aussi sous les appellations Phirrete, Fierritum ou Ferreta.
Le comté de Ferrette était à cheval sur deux zones linguistiques : romane et germanique. Spirituellement, il dépendait du diocèse de Bâle. Ce n’est qu’après la Révolution française que l’ensemble du département du Haut-Rhin (dont Belfort) fut relié au diocèse de Strasbourg.
Les armoiries des comtes de Ferrette
Les armoiries des comtes de Ferrette sont identiques à celles des comtes de Bar (aujourd’hui en Lorraine) et des comtes de Montbéliard. Ceci montre les étroites relations qui existaient entre les trois maisons.
- Les comtes de Montbéliard et de Ferrette prirent pour armoiries deux poissons ou bars adossés d’or, recourbés et toujours tournés la tête en haut sur fond rouge.
- Les comtes de Bar partagèrent un écu similaire mais sur fond bleu et semé de croisettes au pied fiché d’or.
Les origines de la branche de Ferrette en Lorraine
Pour trouver les ancêtres des comtes de Ferrette, il faut remonter très loin dans le passé, autour de l’an mil. En ce temps-là vivait Louis de Mousson, dont les possessions comprenaient plusieurs territoires de l’actuel Nord-Est de la France, en Lorraine, Franche-Comté et Alsace.
Louis de Mousson et le comté de Montbéliard
L’aïeul des comtes de Ferrette, Louis IV de Mousson et de Bar était un noble de langue romane originaire du château en ruine qui se trouve sur la Butte de Mousson en Lorraine. Il serait né vers 1015 et mort autour de 1075. On ignore les lieux de sa naissance et de sa mort.
Louis avait pour mère Mathilde d’Eguisheim (sœur du pape Léon IX) et pour père, Richwin, comte de Scarpone (aujourd’hui Dieulouard au Nord de Nancy).
Par son mariage avec Sophie de Bar en 1033, il devint comte de Bar et seigneur de Mousson. Ce mariage était voulu par l’oncle de Sophie, Conrad II le Salique. L’empereur du Saint-Empire romain germanique souhaitait renforcer son influence face aux signes d’agitation et de révolte dans cette partie occidentale de l’Empire nouvellement créé (en 962).
Le comté de Montbéliard, fief de l’Empire, apparu vers 1032. À la mort du roi de Bourgogne, celui-ci n’ayant pas d’enfants, sa succession revint à Conrad II. Afin de stopper les velléités de revanche du comte Renaud de Bourgogne qui revendiquait l’héritage et voulait accroître ses possessions en Alsace, Conrad II constitua une entité puissante sur la Porte de Bourgogne. Il regroupa les terres d’empire d’Ajoie-Elsgau aux possessions sud-alsaciennes. Le passage vers ces terres était contrôlé à l’ouest par les fortifications de Montbéliard et fut confié à un homme sûr et proche de l’empereur, notre Louis de Mousson ! Le territoire attribué à Louis dans la région de Montbéliard incluait également les seigneuries de Delle et de Belfort, Ferrette et Porrentruy. En fait, il englobait plus ou moins le Sundgau actuel (le sud de l’Alsace).
Enfin, du côté de Sophie de Bar, la tradition fait remonter l’arbre généalogique de sa famille au grand Charlemagne lui-même !
Thierry Ier, comte de Montbéliard et de Ferrette
Le fils ainé de Louis de Mousson fut Thierry de Montbéliard (vers 1045-1103). Le 2e comte de Montbéliard prit le nom de Thierry Ier. Dans ses possessions lorraines (comté de Bar et seigneurie de Mousson), il était plutôt connu sous le nom de Thierry II. Pendant les 7 dernières années de sa vie, il reçu le comté de Verdun à titre viager.
À la mort de son père Louis, Thierry revendiqua la succession du duché de Lorraine. L’empereur Henri IV ne le souhaitant pas, il ravagea l’évêché de Metz en représailles. Il fut vaincu par Adalbéron III, évêque de Metz et Thierry II, duc de Lorraine. Pour se faire pardonner, il fonda une abbaye à Haguenau en 1074 et fit reconstruire l’église de Montbéliard en 1080.
Le partage de 1125
Thierry Ier de Montbéliard épousa Ermentrude de Bourgogne en 1065, fille du comte de Bourgogne. Le couple eut plusieurs enfants. Chacun reçut une partie du territoire en héritage :
- Thierry II (1081-1163) conserva le titre de comte de Montbéliard
- Frédéric Ier (mort en 1160) devint le premier comte de Ferrette et reçu des biens en Lorraine, notamment à Amance (près de Nancy)
- Renaud Ier (1090-1150) prit possession du comté de Bar (autour de Bar-le-Duc) et de la seigneurie de Mousson
- Étienne (mort en 1162), déjà évêque de Metz, reçu des biens en Lorraine
Frédéric Ier, premier comte de Ferrette
Frédéric Ier devint le premier comte de Ferrette à la mort de son père, Thierry Ier comte de Montbéliard. Il choisit de garder les mêmes armoiries que celles des comtes de Bar et de Montbéliard, à savoir deux bars adossés (ou deux poissons).
Son frère Thierry II, comte de Montbéliard, fit construire sur une colline escarpée au-dessus de la Savoureuse un château. On l’appela Belfort. Le comté de Frédéric de Ferrette s’étendant jusqu’à la colline d’en face, il décida d’y dresser à son tour une forteresse, le château de Montfort, pour un motif justifié de défense. Ce site est celui de l’actuelle Tour de la Miotte qui figure sur le blason de la Ville de Belfort.
Il est raisonnable de penser que les relations entre les deux frères étaient bonnes. Thierry avait apparemment si mauvais caractère qu’il fut chassé par ses sujets barrois. Toutefois, le rapport entre les deux familles se dégrada lorsqu’en 1162, le comté de Montbéliard passa sous l’influence de la Bourgogne par les familles de Montfaucon et de Chalon.
En effet, Thierry III, le fils ainé de Thierry II, mourut avant son père. Le deuxième enfant était une femme, Sophie. Héritière du comté de Montbéliard, elle mourut elle aussi avant son père. Or, elle avait eu un enfant de son mariage avec Richard II, comte de Montfaucon. Ce fut donc leur fils Amédée II de Montfaucon qui succéda à son grand-père.
À partir de ce moment, les Ferrette et les Montbéliard eurent une longue histoire commune faite d’événements heureux ou de conflits d’intérêts.
La croisade de Louis Ier de Ferrette
Louis Ier (vers 1161-vers1193) est le fils du premier comte de Ferrette, Frédéric Ier. Il se démarqua des autres comtes de Ferrette par son voyage en Palestine, aux côtés de l’empereur Barberousse. Au service de l’empereur, Louis Ier participa à la Troisième Croisade. Présent au siège de Saint-Jean-d’Acre, il trouva la mort au cours des combats.
Le règne agité du comte Frédéric II
Fils (ou petit-fils ?) de Louis Ier, Frédéric II (1197-1232) eu la réputation d’un homme sans scrupules, au caractère violent et orgueilleux. De toute l’histoire des comtes de Ferrette, le gouvernement de Frédéric est le plus agité. Il guerroya contre Richard III de Montbéliard et contre l’abbaye de Murbach pour étendre ses possessions. D’après la Charte de Lucelle (1215), la ville d’Altkirch lui doit sa création.
Guerre et paix à Belfort
Vers 1225-1226, Frédéric fit la guerre contre son voisin, le comte de Montbéliard, pour la possession de la forteresse de Belfort. Le site était en effet stratégique : la clé de l’Alsace et du comté de Bourgogne (l’actuelle Franche-Comté). Le Traité de Grandvillars du 15 mai 1226, seule source de l’histoire de cette guerre, réconcilia les belligérants. Preuve de la paix retrouvée, Alix, fille du comte de Ferrette, épousa le futur comte de Montbéliard Thierry III (1205-1283) et donna naissance à Richard de Montfaucon. Mais le traité est un document hautement historique : il s’agit de la première mention connue du château de Belfort.
La peine du Harnescar à Bâle
Mais la vie tumultueuse de Frédéric II le menèrent à sa perte. L’un des épisodes les plus retentissants de son règne fut l’enlèvement de l’évêque de Bâle, Henri de Thoune et son emprisonnement à Altkirch. Une fois délivré, l’évêque ne tarda pas à se venger du comte. Il lui ordonna (ainsi qu’aux habitants d’Altkirch) de subir la peine du Harnescar. Cette humiliation publique consistait à porter un chien sur ses épaules du Spalentor à la cathédrale de Bâle pour solliciter humblement le pardon de l’évêque.
Meurtre au château !
Peu de temps après le triomphe de Henri de Thoune, Frédéric II fut mystérieusement assassiné en son château de Ferrette. La rumeur publique s’empressa de désigner son fils aîné, Louis le Furieux, comme l’auteur du crime. Il fut aussitôt excommunié et banni, tandis que son frère Ulrich prit possession du comté. Celui-ci continua à régner sur le comté pendant 40 ans après les faits sous le nom de Ulrich II. Ce n’est que 600 ans plus tard que l’on découvrit un acte conservé à l’abbaye de Lucelle relatant les confessions d’Ulrich sur son lit de mort. En invoquant le pardon de Dieu, celui-ci déclara être le véritable assassin de son père. Si cette histoire n’est pas un conte de fée, il s’agit néanmoins d’une énigme dont aurait pu s’inspirer Agatha Christie ! Pour plus d’informations sur le Harnescar et le parricide, lisez cet intéressant article du blog isundgau.
Le comté de Ferrette, fief de l’évêché de Bâle
Le 15 janvier 1271 le comte Ulrich II, avec l’accord de son fils Thiébaud vendait à l’évêque de Bâle ses possessions du Sundgau pour 850 marks d’argent. L’évêque les lui rendit immédiatement en fief, devenant ainsi son suzerain. L’acte de vente est aujourd’hui une excellente source d’information qui nous permet de se faire une idée sur l’étendue du comté de Ferrette :
le château et la ville de Ferrette, les châteaux de Sogren (Soyhières), de Blochmunt (Blochmont), de Lewenberc (Loewenburg), de Morsberc (Morimont), Liebenstein, le château et la ville d’Altchilche (Altkirch), Ameratswilre (Ammertzwiller), Sphebach (Spechbach), Hohennac (Hohnack), Winnecke (Wineck), une courtine dans Cernay avec ses attenants, tant dans la ville qu’au dehors… les cours de Turlestorff (Durlinsdorf), de Buchswilre (Bouxwiller), de Ruodensbach (Riespach), d’Altkilche (Altkirch) avec les fermes qui en dépendent, de Sphebach (Spechbach), d’Ameratswilre (Ammertzwiller), de Brunnehoubten (Burnhaupt), Schweichusen (Schweighouse), les villages de Tanne (Thann) et de Domarkilche (Dannemarie), avec les hommes, avocaties, les vignes, les champs… et généralement toutes les choses qui nous appartiennent par droit de propriété, à quelque droit et à quelque titre qu’elles soient énumérées, à l’exception du château de Schonenberg et de la cour de Illevurt (Illfurth).
L’héritier d’Ulrich II est Thiébaud (ou Théobald) de Ferrette (1275-1315). Ce guerrier dans l’âme eut pour fils le dernier comte de Ferrette, Ulrich III.
Ulrich III et la succession du comté de Ferrette
Ulrich III (mort le 10 mars 1324) épousa, vers les années 1300, Jeanne de Montbéliard, fille du comte Renaud de Montbéliard. Il reçut en dot de son épouse les seigneuries de Rougemont et de Belfort.
Pas d’héritiers mâles à l’horizon !
Le comte était inquiet au sujet de la transmission de ses possessions qu’il tenait de l’évêque de Bâle. Après neuf années de mariage, il n’avait eu que deux filles (Jeanne et Ursule), et aucun fils. Selon toute logique, en l’absence d’héritiers mâles, son territoire serait revenu à l’évêché de Bâle.
Le 30 mai 1318, Ulrich III rencontra donc à Delémont l’évêque de Bâle. En reconnaissance des services qu’Ulrich lui avait rendus, l’homme d’église consentit à accepter que la transmission du comté de Ferrette se fasse par l’intermédiaire de sa fille aînée, Jeanne.
Le pape sollicité pour la succession du comté
Pour obtenir l’assurance d’un tel arrangement, le comte de Ferrette s’adressa au Pape lui-même. Jean XXII entendait mettre l’autorité temporelle du pape au-dessus de celle de tous les souverains de la chrétienté. Ulrich III manifesta une certaine prudence à en avertir le chef de l’église. Une bulle papale datée d’Avignon le 25 janvier 1320 confirma l’accord entre le comte de Ferrette et l’évêque de Bâle.
Toutefois, le pape y ajouta une clause qui lui avait probablement été suggérée par l’évêque. Il réserva que, dans le cas où le comte de Ferrette n’aurait pas d’enfants mâles pour héritiers, l’archevêque de Besançon devait veiller à ce que les filles du comte ne prennent leurs époux que dans le voisinage du diocèse de Bâle. Ceci afin qu’ils fussent à proximité pour porter secours à l’évêque de Bâle. On voulait par là éviter le danger de voir passer le comté de Ferrette entre les mains de quelques princes trop puissants pour l’église de Bâle.
La mort d’Ulrich III
Sentant sa mort proche, Ulrich se rendit à Bâle et écrivit le 7 mars 1324 un testament devant l’Officialité de l’évêché de Bâle. Il stipula les modalités de la transmission du comté de Ferrette à sa fille Jeanne selon les accords passés.
Ulrich III de Ferrette mourut à Bâle trois jours plus tard, le 10 mars 1324 et son corps fut inhumé dans l’église des Franciscains de Thann, en présence de Jeanne et de son futur époux, Albert II de Habsbourg. Son cœur fut cependant déposé à l’abbaye de Lucelle.
Le comté de Ferrette devient autrichien
Quelques jours après le décès, la succession fut organisée ainsi que le mariage de l’héritière du comté de Ferrette et du duc Albert de Habsbourg. Un contrat de mariage fut rédigé et signé le 17 mars 1324 à Thann. L’accord fut avalisé par l’archevêque de Besançon le 26 mars 1324 à Masevaux. Ceci laisse penser que l’union entre les Ferrette et les Habsbourg avait été organisé bien en avance, du vivant d’Ulrich III et de sa femme Jeanne de Montbéliard.
Jeanne de Ferrette apporta à son mari Albert II de Habsbourg :
- le titre de comte de Ferrette, ce qui assure la protection de son héritage.
- la réponse à une nouvelle contrainte des Princes Électeurs du Saint-Empire : descendante de Charlemagne, Jeanne de Ferrette permit aux Habsbourg de reconquérir la couronne impériale.
Malgré l’accord de l’archevêque de Besançon, l’évêque de Bâle fut très mécontent de cet arrangement et le fit savoir auprès du pape… sans succès ! Son vassal devint donc les très puissants Habsbourg ! C’est une nouvelle page qui se tourne sur l’histoire du Sundgau… au parfum autrichien ! Et c’est une autre histoire que j’ai le plaisir de vous raconter sur le blog 🙂
Le titre de comte de Ferrette aujourd’hui
À la signature du Traité de Westphalie à Munster le 24 octobre 1648, Louis XIV reconnaissant donna le titre de comte de Ferrette au Cardinal Mazarin en 1659. En 1777, Louise-Félicité-Victoire d’Aumont-Mazarin, descendante de la nièce de Mazarin, épousa Honoré IV Anne-Charles-Maurice. Celui-ci était duc de Valentinois (région de Valence) et surtout un Grimaldi, prince de Monaco. De nos jours, les Grimaldi portent toujours le titre de comte de Ferrette. Albert II de Monaco est donc l’actuel comte de Ferrette, de Belfort, de Thann et de Rosemont, baron d’Altkirch et seigneur d’Issenheim.
Pour une synthèse historique du comté de Ferrette et du Sundgau, lisez L’histoire du Sundgau en BD, disponible sur amazon :
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Quelques épingles pour Pinterest ?
Génial, comment faites-vous ? Que de temps passé , je suis en admiration et je lis tous les articles de votre blog
Merci beaucoup Monique… effectivement, écrire un article de blog demande beaucoup de temps (et de recherche !). Ce qui explique que je n’ai (malheureusement) pas les moyens d’en publier très souvent 🙂